Quelques heures avant de quitter le pouvoir, Andry Rajoelina a signé un ultime acte de loyauté : la grâce présidentielle accordée à deux anciens officiers français, Paul Maillot Rafanoharana et Philippe Marc François, condamnés pour tentative de coup d’État en 2024. Un geste lourd de symboles, qui sonne comme un remerciement adressé à Paris — et notamment à Emmanuel Macron — pour une aide bien plus discrète : son exfiltration présumée à bord d’un avion militaire français, alors que la colère populaire et une partie de l’armée menaçaient de le renverser.
Les deux ex-officiers français, formés à Saint-Cyr, purgeaient respectivement des peines de vingt et dix ans de prison pour leur implication dans la tentative de putsch de 2021. Leur libération, intervenue dans la plus grande discrétion, survient dans un climat d’effondrement du régime. La décision, présentée comme un « geste humanitaire », a en réalité tout d’un retour d’ascenseur diplomatique.
Selon plusieurs sources locales concordantes, Andry Rajoelina aurait été exfiltré dans la journée du 12 octobre par un avion militaire français CASA CN-235, immatriculé 64HH, habituellement stationné sur la base de l’armée de l’air à La Réunion. L’appareil aurait atterri sur l’île de Sainte-Marie, à l’est de Madagascar, avant de redécoller une dizaine de minutes plus tard pour Saint-Denis de La Réunion.
Un hélicoptère Airbus H145, aux couleurs orange et noir et appartenant à Rajoelina, aurait précédé le CASA français sur le tarmac, avant de rester sur place. Plusieurs témoins affirment avoir vu des caisses et des bagages transférés à bord de l’appareil militaire. À ce stade, l’hypothèse la plus vraisemblable est que le président déchu lui-même faisait partie du « chargement ».
Le scénario rappelle les heures sombres de la Françafrique. Paris, soucieuse de protéger un chef d’État doublement citoyen — malgache et français —, aurait orchestré sa fuite à la hâte pour éviter qu’il ne tombe entre les mains de ses opposants. Le média Madagascar Aviation, qui a retracé le parcours de l’avion, signale également la présence d’un jet privé Vistajet sur la zone militaire de l’aéroport de Saint-Denis, parti ensuite vers Dubaï, ce qui renforce les soupçons d’une opération coordonnée.
Cette opération, si elle est confirmée, risquerait d’entraîner une nouvelle crise diplomatique entre Paris et Antananarivo. Elle met surtout en lumière la persistance d’un réflexe paternaliste français en Afrique : celui de sauver « ses » dirigeants, même discrédités, plutôt que de laisser les peuples décider de leur sort.
La France, fidèle à sa realpolitik africaine
Officiellement, le Quai d’Orsay n’a émis aucun commentaire. Officieusement, plusieurs diplomates reconnaissent que Paris avait « une obligation de protection » envers Rajoelina, en raison de sa nationalité française. Une justification qui peine à masquer une opération d’ingérence en bonne et due forme.
Le silence embarrassé de l’Élysée contraste avec l’indignation croissante sur le continent. Après le soutien implicite apporté au Tchad à la suite de la mort d’Idriss Déby, l’absolution tacite du régime gabonais avant le coup d’État de 2023, et les ambiguïtés françaises au Niger, l’affaire Rajoelina confirme un double discours : démocratie de façade, intérêts d’abord.
À Antananarivo, la population, déjà meurtrie par la répression des manifestations ayant fait 22 morts en quelques jours, perçoit cette exfiltration comme une trahison. « Paris protège les bourreaux et méprise les peuples », dénonce un universitaire malgache. Les réseaux sociaux regorgent de messages accusant la France de « colonialisme déguisé ».
Sur un continent où les opinions publiques rejettent de plus en plus ouvertement la tutelle occidentale, l’image de l’armée française évacuant un président honni achève de ternir un peu plus la réputation de la France.
À Madagascar comme ailleurs, la diplomatie française semble prisonnière d’un paradoxe : prêcher la démocratie tout en protégeant les autocrates amis. En sauvant Andry Rajoelina, Paris ne sauve pas un régime, mais enterre un peu plus sa crédibilité en Afrique.