Umaro Sissoco Embaló incarne une figure singulière dans le paysage politique ouest-africain. Officier formé dans plusieurs académies militaires étrangères, parlant couramment portugais, français, anglais et arabe, il cultive l’image d’un chef d’État cosmopolite, à la fois pragmatique et imprévisible.
Son style tranche avec la réserve habituelle des dirigeants de la sous-région : direct, souvent provocateur, il revendique une liberté de ton et de manœuvre qui brouille les lignes de la diplomatie classique. Cette attitude volontariste, parfois jugée impulsive, lui a permis d’imposer la Guinée-Bissau sur des scènes où elle était quasi absente : le sommet Russie-Afrique, les forums sino-africains, ou encore les plateformes CEDEAO-UE.
Pourtant, derrière cette ambition d’ouverture se cache une quête personnelle de légitimité internationale, destinée à compenser les fragilités internes de son pouvoir. Élu dans un contexte de contestation, à la tête d’un pays marqué par des décennies d’instabilité politique, Embaló cherche à exister en externe pour mieux consolider sa stature à l’interne. Il pratique une diplomatie de visibilité, cherchant à placer la Guinée-Bissau au centre des équilibres africains et à s’ériger lui-même en médiateur régional incontournable.
Un jeu d’équilibrisme entre grandes puissances
Embaló a su, en quelques années, tisser un réseau diplomatique multivectoriel, jouant tour à tour sur les contradictions des grandes puissances.
Avec la France et Emmanuel Macron, il affiche une coopération de façade, marquée par la visite de 2022 à Bissau. Paris voit en lui un interlocuteur utile pour contrer l’expansion russe et chinoise en Afrique de l’Ouest. Mais Embaló, conscient du recul de l’influence française, évite tout alignement doctrinal. Il se positionne comme partenaire autonome, tout en bénéficiant de soutiens techniques et militaires français.
Avec la Russie de Vladimir Poutine, il entretient une proximité opportuniste. En 2025, il est accueilli au Kremlin pour sceller une coopération économique centrée sur la bauxite et la sécurité. Ce partenariat lui offre un levier de diversification, mais comporte des risques : dépendance technologique, sanctions internationales et méfiance occidentale. Embaló s’efforce donc de présenter cette relation comme un pragmatisme stratégique, non comme un basculement idéologique.
Avec la Chine de Xi Jinping, il joue la carte du développement. Pékin lui promet des infrastructures, des investissements agricoles et des facilités de crédit dans le cadre de la « Belt and Road Initiative ». Embaló, conscient du risque d’endettement, cherche à obtenir des projets à visibilité rapide — routes, hôpitaux, ports — qui renforcent son image de modernisateur sans engager des contreparties politiques excessives.
Avec les États-Unis, il cultive un lien de respect prudent. Washington voit en lui un partenaire utile dans la lutte contre le narcotrafic et l’instabilité côtière, mais reste réservé face à sa gouvernance autoritaire. En retour, Embaló instrumentalise ce partenariat pour renforcer sa crédibilité internationale, en affichant sa coopération sécuritaire comme preuve de bonne volonté.
Cette stratégie, qui consiste à ménager tout le monde sans appartenir à personne, confère à Embaló une marge diplomatique rare pour un pays de la taille de la Guinée-Bissau. Mais elle exige un sens aigu du dosage — et une constance qu’il n’a pas toujours su maintenir. À force de s’affirmer comme un médiateur, il risque parfois de s’ériger en arbitre sans camp, ce qui peut isoler plutôt que fédérer.
Le pari risqué de Macky Sall à l’ONU
C’est dans cette logique d’équilibre personnel qu’il faut comprendre le soutien d’Embaló à la candidature de Macky Sall au poste de Secrétaire général des Nations unies.
Cette initiative, annoncée en coulisses et relayée par plusieurs sources diplomatiques africaines, repose sur une fidélité ancienne entre les deux hommes. Macky Sall fut, en effet, l’un des premiers chefs d’État à légitimer la victoire contestée d’Embaló en 2020, à un moment où la CEDEAO était divisée. Cette reconnaissance initiale a créé un lien politique et personnel fort, qu’Embaló considère comme une dette morale.
Cependant, cette démarche s’inscrit à contre-courant du nouveau rapport de forces régional. Depuis le départ de Macky Sall, le Sénégal vit une recomposition politique profonde : le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko ont ouvert une ère de rupture, dénonçant l’« héritage économique désastreux » et les dettes dissimulées laissées par l’ancien régime. Les nouvelles autorités sénégalaises accusent ouvertement Macky Sall d’avoir contracté une dette publique opaque, évaluée à plusieurs milliards de dollars, masquée dans les bilans des entreprises publiques et dans des engagements offshore.
Dans ce contexte, la posture d’Embaló apparaît à la fois anachronique et provocatrice : soutenir la candidature d’un ancien président affaibli et désormais contesté par son propre pays, c’est s’exposer à une rupture frontale avec Dakar.
La crise diplomatique avec Dakar
La tension entre la Guinée-Bissau et le Sénégal dépasse la simple question de personnes.
Depuis plusieurs mois, les relations bilatérales sont marquées par une méfiance croissante. Les nouvelles autorités sénégalaises accusent officieusement Embaló d’avoir cherché à instrumentaliser la transition pour influencer les dynamiques internes sénégalaises, notamment via des relais au sein de la CEDEAO.
Dakar, de son côté, reproche à Bissau d’avoir pris fait et cause pour Macky Sall, au moment même où le Sénégal tente de solder les comptes d’un régime dont les traces financières sont jugées compromettantes.
L’attitude d’Embaló, oscillant entre loyauté personnelle et calcul diplomatique, risque de fragiliser durablement la relation sénégalo-bissau-guinéenne, pourtant vitale pour les équilibres frontaliers, la sécurité et les échanges commerciaux. Si le conflit s’envenime, il pourrait affecter la coopération sécuritaire le long de la frontière sud du Sénégal, déjà sensible en Casamance.
Une stratégie d’ambition qui menace son équilibre interne
En cherchant à imposer Macky Sall sur la scène onusienne, Embaló s’expose non seulement à un isolement régional, mais aussi à une érosion interne de crédibilité.
Son image d’« homme fort mais équilibré » pourrait se fissurer si ce soutien est perçu comme une manœuvre de clan plutôt que comme une vision africaine du multilatéralisme.
De plus, les puissances partenaires – France, États-Unis, Chine, Russie – observent ce positionnement avec prudence : elles y voient moins une stratégie d’influence qu’un signe d’instabilité politique.
Dans une période où chaque capitale cherche des interlocuteurs prévisibles, Embaló risque d’apparaître comme un acteur erratique, plus mû par des loyautés personnelles que par des principes diplomatiques cohérents.

 
									 
					