En lançant le Processus des États de l’Afrique atlantique (PEAA), le roi Mohammed VI a voulu transformer une façade maritime fragmentée en un espace cohérent de coopération et de prospérité. Au-delà des disparités entre les vingt-trois pays concernés, le projet repose sur une communauté d’intérêts et de menaces partagées, et sur la capacité du Maroc à fédérer autour de ses provinces du Sud.
L’Initiative a été annoncée le 6 novembre 2023, lors du 48ᵉ anniversaire de la Marche verte. Elle vise à donner une structuration africaine au littoral atlantique, en s’appuyant sur les provinces du Sud marocain, présentées comme un pont stratégique vers les États riverains. La Constitution de 2011, qui inscrit la coopération africaine et la solidarité Sud-Sud parmi les principes de la politique étrangère du Royaume, en constitue un fondement institutionnel.
Le PEAA englobe vingt-trois pays, du Cap Spartel au Cap de Bonne-Espérance. Des États disparates par leurs tailles, leurs régimes, leurs poids économiques et leur insertion régionale. Ce qui pourrait apparaître comme un obstacle est interprété par Rabat comme une opportunité : seule une communauté d’intérêts à défendre et de menaces à repousser peut justifier une telle structuration.
Des disparités structurelles profondes
Les écarts sont considérables. Le Maroc dispose de près de 3 000 km de côtes atlantiques, quand la République démocratique du Congo n’en possède que 37. L’Afrique du Sud, le Nigeria et le Maroc comptent parmi les géants économiques du continent, avec des PIB dépassant 140 milliards de dollars, tandis que Sao Tomé-et-Principe ou la Guinée-Bissau peinent à atteindre deux milliards.
Ces inégalités posent un défi majeur : comment convaincre les « petits poucets » de rejoindre un espace où ils pourraient craindre la domination des grandes puissances régionales ? La réponse, selon l’analyse de Bassou, réside dans la promesse de mutualisation : noyer les faiblesses dans la force collective, bénéficier de solidarités économiques et sécuritaires.
La conjoncture géopolitique mondiale renforce l’intérêt de l’Atlantique africain. L’instabilité croissante en mer Rouge et autour de la Corne de l’Afrique – du Yémen au Soudan – détourne une partie du trafic maritime international vers l’Atlantique. Loin d’être un corridor secondaire, il pourrait devenir un axe permanent reliant l’Asie du Sud-Est, l’Europe et les Amériques.
Les États atlantiques partagent des ambitions similaires : développer leurs ports, moderniser les infrastructures logistiques, exploiter durablement les ressources halieutiques et minières, réussir leur transition énergétique et renforcer le commerce intra-africain. Ces intérêts communs appellent une coopération accrue, notamment pour capter les investissements nécessaires.
À ces opportunités s’opposent des risques transnationaux qui dépassent les capacités individuelles :
la criminalité organisée, avec le trafic de drogue, de migrants et d’armes, qui transforme certaines côtes en hubs de redistribution vers l’Europe ;
l’extrémisme violent, alimenté par les groupes du Sahel qui cherchent à atteindre le littoral pour frapper le commerce maritime et déstabiliser les États côtiers ;
les actes illicites en mer, de la piraterie du golfe de Guinée aux menaces extérieures, comme une éventuelle projection iranienne via des relais chiites ou le Hezbollah.
Ces vulnérabilités font de la sécurité maritime et des coopérations de renseignement un pilier essentiel du PEAA.
Le Maroc, pivot diplomatique et économique
Pour Rabat, l’Initiative atlantique consolide d’abord la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara. Sur les vingt-trois États concernés, dix-sept ne reconnaissent pas le Polisario, et plusieurs ont ouvert des consulats à Dakhla ou Laâyoune.
Mais le rôle du Maroc dépasse la cause nationale. Fort d’investissements massifs en Afrique de l’Ouest – banques, télécoms, phosphates, infrastructures – le Royaume est déjà inséré dans les économies atlantiques. Il joue aussi la carte culturelle et religieuse en promouvant un islam modéré et en accueillant des étudiants africains. Sur le plan politique, il se propose comme trait d’union entre Afrique et Europe, via un possible format « 3+3 » (Maroc, Mauritanie, Sénégal / Espagne, Portugal, France), inspiré du 5+5 méditerranéen.
Le succès du PEAA dépendra de sa capacité à dépasser les logiques concurrentes des Communautés économiques régionales (UMA, CEDEAO, CEEAC, SADC). Plutôt que de s’y substituer, il devra les compléter.
Abdelhak Bassou plaide pour une architecture institutionnelle souple : un secrétariat réduit, des conseils ministériels sectoriels, et des sommets réguliers de chefs d’État. Mais aussi pour des projets concrets et rapides : corridors logistiques intégrés, mise en réseau des ports, exploitation durable des ressources marines, création d’une académie atlantique des métiers.
Enfin, l’Initiative doit se prémunir de deux dérives : l’isolationnisme africain et l’instrumentalisation idéologique du « Sud global » comme bloc anti-occidental. Le Maroc défend une conception d’un Sud « nouveau et ouvert », qui dialogue avec toutes les puissances, émergentes ou traditionnelles, sur la base de l’équité et de la réciprocité.