À 92 ans, le président camerounais s’apprête à briguer un huitième mandat. Quarante-trois années d’un règne marqué par l’immobilisme, les fractures internes et l’usure d’un système hyperprésidentialiste, qui place le pays face à une équation périlleuse.
Le paradoxe camerounais s’incarne dans une figure unique : Paul Biya, chef de l’État depuis 1982, dont la longévité politique défie les cycles constitutionnels, les transitions démocratiques africaines et même l’espérance de vie moyenne de ses concitoyens, fixée à 60 ans. Le 12 octobre prochain, il se présentera une nouvelle fois devant les urnes. À 92 ans, il devient non seulement le doyen des dirigeants en exercice à travers le monde, mais aussi le symbole d’un système verrouillé dont l’usure menace la stabilité du pays.
Depuis son arrivée au pouvoir, Biya a façonné une présidence d’apparat. Son mode de gouvernance repose sur la distance et l’opacité : rares apparitions publiques, protocoles pesants, interventions limitées à trois discours annuels. Ce retrait, que ses détracteurs qualifient de « présidence fantôme », a nourri le surnom de « propriétaire absent ». Contrairement à d’autres figures charismatiques du continent, il cultive le vide comme stratégie politique. L’absence devient pouvoir, en entretenant à la fois mystère et dépendance au sommet de l’État.
Ce style a contribué à neutraliser les élites politiques, soumises à un jeu de faveurs et de sanctions arbitraires. Mais il a aussi éloigné le président des réalités quotidiennes d’un pays confronté à des crises multiples : insécurité chronique dans l’Extrême-Nord face à Boko Haram, conflit séparatiste dans les régions anglophones, corruption endémique et pauvreté persistante.
Le danger d’une candidature de trop
La nouvelle candidature de Paul Biya ne représente pas seulement un défi symbolique. Elle pose une série de risques politiques et institutionnels majeurs. D’abord celui de la vacance de pouvoir de facto : un président nonagénaire, souvent perçu comme fragile, peut difficilement assumer la charge exécutive dans un contexte régional tendu, entre instabilités sahéliennes et tensions dans le Golfe de Guinée.
Ensuite, la reconduction d’un mandat supplémentaire verrouille toute perspective de transition pacifique. Le Cameroun, contrairement au Ghana ou au Nigeria, n’a jamais connu d’alternance démocratique. Le maintien de Biya au sommet perpétue l’incertitude : qui gouvernera le jour où le président ne pourra plus exercer ? Les rivalités entre clans du pouvoir, déjà perceptibles, risquent alors d’exploser, ouvrant une ère d’instabilité institutionnelle.
Enfin, cette candidature affaiblit la crédibilité internationale du pays. Alors que de nombreux partenaires occidentaux conditionnent leur coopération à des gages de réformes, Yaoundé s’enferme dans une image d’immobilisme et de conservatisme politique, à rebours des aspirations de sa jeunesse, dont plus de 60 % a moins de 25 ans.
Une autorité « quasi biblique » et impitoyable
Le portrait brossé par le site Africa Is a Country décrit un dirigeant « discret mais impitoyable », doté d’une autorité quasi transcendante. Sous ses airs flegmatiques, Biya a en réalité consolidé son pouvoir par une gestion implacable des équilibres internes, mêlant cooptation, répression et manipulation constitutionnelle. En 2008, il a fait sauter la limitation des mandats présidentiels, ouvrant la voie à une présidence potentiellement à vie.
Sa longévité s’explique autant par sa prudence que par l’absence de contre-pouvoirs réels. L’armée reste sous contrôle, les institutions électorales inféodées, et l’opposition divisée et souvent muselée. Le tout s’accompagne d’une élite économique arrimée au pouvoir central, dont la survie dépend du statu quo.
La candidature de Paul Biya apparaît ainsi comme un pari risqué : prolonger un modèle d’hyper-présidence usé jusqu’à l’extrême, au détriment d’un processus de transition devenu inévitable. Si elle assure la continuité immédiate d’un système verrouillé, elle fragilise durablement la stabilité du Cameroun. L’absence d’un plan de succession clair nourrit les spéculations et ouvre la voie à des crises de pouvoir au sommet, dont les conséquences pourraient déborder sur l’ensemble de la sous-région.
Pour les observateurs, la question n’est plus seulement de savoir si Biya peut encore gouverner, mais si le Cameroun peut se permettre de continuer à attendre son départ. À l’approche d’une élection aux allures de plébiscite contrôlé, le pays reste suspendu à un homme, dont l’ombre s’allonge sur quatre décennies et menace d’éclipser l’avenir.