L’Afrique s’impose progressivement comme un acteur diplomatique incontournable, non plus seulement objet de rivalités, mais véritable sujet de la scène internationale. Cette montée en puissance s’incarne dans l’Union africaine (UA), qui fédère cinquante-cinq États et ambitionne d’être le porte-voix du continent. Son admission comme membre permanent du G20 en 2023 a marqué une étape historique, consacrant son poids collectif et sa capacité à influencer la gouvernance mondiale.
Au sein de l’UA, quelques puissances structurent l’action collective. Le Nigéria, avec ses plus de 230 millions d’habitants et son économie pétrolière, a longtemps été la locomotive diplomatique d’Afrique de l’Ouest, jouant un rôle déterminant dans les médiations de la CEDEAO et les interventions régionales. L’Afrique du Sud, forte de son expérience post-apartheid et de son réseau diplomatique impressionnant, s’est imposée comme interlocuteur privilégié dans les enceintes multilatérales, du G20 aux BRICS. L’Égypte, pivot arabo-africain, demeure influente grâce à son armée, sa démographie et sa capacité de médiation. L’Éthiopie, siège de l’UA, bénéficie d’un prestige historique et d’une contribution majeure aux opérations de paix, tandis que l’Algérie et le Kenya jouent un rôle de médiateurs reconnus.
Cette diversité de leaderships s’exprime dans une architecture institutionnelle équilibrée : le Conseil de paix et de sécurité, organe clé de l’UA, fonctionne sur une répartition régionale des sièges, tandis que la présidence tournante de l’organisation et la désignation de « champions » thématiques permettent d’impliquer différents chefs d’État dans la promotion de priorités continentales.
Le domaine où l’UA a le plus affirmé son autorité est celui de la paix et de la sécurité. L’Architecture africaine de paix et de sécurité, qui inclut un système d’alerte rapide et une Force africaine en attente, incarne la volonté d’une autonomie stratégique. De fait, l’UA a conduit ou appuyé plusieurs opérations emblématiques : la mission AMISOM en Somalie, transformée en ATMIS, a permis de contenir l’insurrection shebab ; en Gambie, la fermeté de l’UA et de la CEDEAO a contribué au départ pacifique de Yahya Jammeh en 2017 ; en Éthiopie, la médiation africaine a facilité l’accord de paix de Pretoria en 2022 mettant fin à la guerre du Tigré.
Les suspensions rapides des pays victimes de coups d’État — Mali, Soudan, Niger — illustrent le principe de « tolérance zéro » vis-à-vis des changements anticonstitutionnels. Cette fermeté s’accompagne d’une diplomatie de médiation, souvent incarnée par des envoyés spéciaux, anciens chefs d’État ou personnalités reconnues, qui jouent un rôle actif dans la recherche de compromis.
Pourtant, le financement reste le point faible : plus de 90 % des coûts des missions de l’UA sont couverts par des bailleurs extérieurs. Le lancement d’un Fonds pour la paix et l’adoption récente par l’ONU d’un mécanisme de financement plus prévisible marquent toutefois un progrès vers l’autonomie.
L’Afrique pèse par son nombre : cinquante-quatre voix à l’Assemblée générale de l’ONU en font le bloc le plus important. Cette force devient influence lorsque l’unité est maintenue. Le Consensus d’Ezulwini de 2005 demeure l’expression la plus claire d’une position commune : obtenir deux sièges permanents africains au Conseil de sécurité, assortis du droit de veto, et cinq sièges non permanents supplémentaires.
Cette cohésion se retrouve aussi dans les négociations climatiques : les pays africains, regroupés dans un front commun, ont porté la création d’un fonds pour les pertes et dommages, adopté lors de la COP27. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), en construction, renforce également la crédibilité africaine en montrant une volonté de bâtir un marché commun de 1,3 milliard de consommateurs, capable de rivaliser avec d’autres blocs régionaux.
La diplomatie des partenariats et la compétition des puissances
L’Afrique est aujourd’hui au cœur d’une intense compétition géopolitique. Les États-Unis, la Chine, l’Union européenne, la Russie, le Japon, la Turquie ou les pays du Golfe organisent régulièrement des sommets dédiés, chacun cherchant à séduire le continent avec des promesses d’investissements, d’infrastructures ou de sécurité. Cette rivalité offre aux États africains une marge de manœuvre : diversifier leurs partenariats, négocier de meilleures conditions et éviter la dépendance exclusive à un acteur.
L’Afrique du Sud, l’Égypte et l’Éthiopie ayant intégré les BRICS, l’UA au G20 et la consolidation des partenariats Sud–Sud renforcent cette diplomatie de non-alignement actif, où l’Afrique tente de tirer parti des fractures du système international pour défendre ses propres priorités : allégement de la dette, financement de l’adaptation climatique, accès aux technologies.
L’essor diplomatique africain reste bridé par des contraintes majeures. L’économie africaine, encore limitée en valeur nominale, ne pèse qu’environ 3 % du PIB mondial. La dépendance financière de l’UA à l’égard des bailleurs extérieurs affaiblit son autonomie. Les divergences entre États, qu’elles soient politiques, stratégiques ou linguistiques, compliquent l’élaboration de positions communes. Enfin, les ingérences extérieures, anciennes et nouvelles, persistent : certaines capitales préfèrent recourir à des partenariats bilatéraux plutôt qu’aux mécanismes de l’UA, fragilisant l’unité continentale.
L’avenir diplomatique de l’Afrique dépendra de sa capacité à consolider ses institutions et à renforcer son intégration. La ZLECAf, le passeport africain, le marché unique du transport aérien ou encore l’Agence spatiale africaine sont autant de jalons d’une Afrique intégrée. Si ces projets aboutissent, le continent sera en mesure de négocier d’égal à égal avec les autres pôles de puissance.
La jeunesse et la démographie africaine, l’essor culturel et technologique, ainsi que l’émergence d’une génération de dirigeants plus connectés et audacieux, nourrissent l’idée d’une Afrique qui, à l’horizon 2050, pourrait constituer un troisième pôle diplomatique dans un monde multipolaire. À condition toutefois de surmonter ses divisions internes, d’assurer un financement autonome de ses priorités et de transformer son potentiel en puissance effective.