Lorsque les dirigeants du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine se sont réunis pour la première fois à Ekaterinbourg en 2009, peu d’observateurs auraient imaginé que ce forum informel deviendrait quinze ans plus tard un acteur incontournable de la gouvernance mondiale. Devenu « BRICS » avec l’intégration de l’Afrique du Sud, puis élargi à de nouveaux membres, le groupement s’affirme désormais comme une alternative crédible face aux limites des institutions traditionnelles, en particulier pour les pays du Sud global.
Le contexte international renforce la centralité des BRICS. Alors que les tensions géopolitiques fragilisent l’ordre multilatéral et que la dette mondiale atteint plus de 102 000 milliards de dollars – dont près d’un tiers pèse sur les pays en développement –, le regroupement incarne un espoir. Pour de nombreux États africains confrontés à l’étau de la dette, aux contraintes budgétaires et à l’urgence climatique, les BRICS représentent un espace où leurs priorités ne sont plus marginalisées. Loin des conditionnalités intrusives des institutions de Bretton Woods, la Nouvelle Banque de Développement (NDB) a démontré qu’un financement alternatif est possible, plus adapté aux besoins locaux.
L’adhésion de l’Afrique du Sud en 2010 a marqué un tournant : pour la première fois, le continent disposait d’un siège permanent dans un forum réunissant près de la moitié de la population mondiale et plus du quart du PIB mondial. Depuis, l’Afrique est devenue une véritable pierre angulaire du projet. La présidence sud-africaine a régulièrement rappelé que le développement des infrastructures, l’accès équitable à l’énergie et la transition numérique doivent être au cœur des priorités.
La voix africaine s’est fait entendre sur des sujets concrets : sécurité alimentaire, accès aux engrais, industrialisation verte ou encore autonomisation des femmes. Plusieurs pays du continent explorent déjà des règlements en monnaie locale, tandis que des projets liés à l’énergie solaire, au paiement numérique et au commerce intra-BRICS ouvrent des perspectives tangibles pour renforcer l’intégration Sud-Sud.
Vers une gouvernance mondiale plus inclusive
Si les BRICS se présentent parfois comme un espace hétérogène, leur diversité est précisément leur force. Loin de se réduire à une confrontation avec l’Occident, le forum cherche à promouvoir une multipolarité équilibrée et à normaliser des voies de développement plurales. Le Brésil insiste sur la convergence et le dialogue Nord-Sud, l’Inde met en avant l’innovation numérique et la sécurité énergétique, tandis que l’Afrique du Sud plaide pour une réforme des institutions internationales, en particulier du Conseil de sécurité de l’ONU.
L’Afrique y voit une opportunité unique : être co-architecte d’un ordre mondial qui prenne réellement en compte ses priorités. De la transition énergétique aux chaînes de valeur industrielles, en passant par l’adaptation au changement climatique, le continent dispose désormais d’un forum où sa voix n’est pas reléguée à l’arrière-plan mais inscrite au cœur des discussions.
Certes, les BRICS demeurent traversés par des tensions internes et des visions parfois divergentes, notamment entre Chine, Russie et Inde. Mais leur attractivité croissante témoigne de leur potentiel. L’élargissement récent, loin de fragiliser le projet, confirme l’aspiration d’un nombre croissant d’États à participer à une gouvernance mondiale plus inclusive.
Le véritable défi des BRICS sera désormais d’institutionnaliser cette dynamique. La création éventuelle d’un secrétariat permanent et l’extension des mécanismes financiers communs constituent des étapes clés. Pour l’Afrique, qui a trop souvent été spectatrice des recompositions mondiales, il s’agit d’un moment stratégique : transformer son statut de partenaire périphérique en celui d’acteur central, capable d’infléchir les règles du jeu international.