Le Premier ministre sénégalais mise sur un repositionnement économique et diplomatique en s’appuyant sur les Émirats arabes unis, au-delà des circuits traditionnels dominés par les bailleurs occidentaux.
La visite d’Ousmane Sonko à Abu Dhabi illustre une inflexion stratégique majeure. Dans un contexte marqué par la dépendance persistante du Sénégal aux financements multilatéraux – Fonds monétaire international (FMI) et Banque mondiale en tête – le chef du gouvernement cherche à diversifier ses partenaires. L’objectif est clair : se libérer des conditionnalités souvent jugées contraignantes des institutions de Bretton Woods et explorer des voies alternatives de financement plus souples et plus adaptées aux priorités nationales.
Les Émirats arabes unis, quatrième investisseur en Afrique sur la dernière décennie avec près de 60 milliards de dollars engagés entre 2012 et 2022, apparaissent comme un partenaire de choix. Le volume des échanges bilatéraux, estimé à 625 millions de dollars (environ 345 milliards de francs CFA), reste modeste mais Sonko entend en réorienter la structure, en privilégiant les projets porteurs de valeur ajoutée pour l’économie sénégalaise.
Au cœur des discussions figure le Plan de redressement économique et social, destiné à relancer la croissance et réduire la vulnérabilité budgétaire. Les Émirats pourraient accompagner ce programme par des investissements ciblés dans l’énergie, le raffinage de l’or, les infrastructures et l’agriculture. La logique privilégiée repose sur des partenariats de type joint-venture, permettant de conjuguer capital émirien et savoir-faire sénégalais pour stimuler la production locale et renforcer les chaînes de valeur régionales.
Cette stratégie répond à une double contrainte : la nécessité de réduire un déficit budgétaire croissant et l’urgence de maintenir un niveau d’investissement public et privé suffisant pour soutenir l’emploi et la croissance.
La finance islamique comme levier d’innovation financière
La visite à Abu Dhabi s’inscrit également dans l’ambition du Sénégal de devenir un acteur continental de la finance islamique. Estimé à 4 940 milliards de dollars en 2025, ce marché connaît une croissance rapide, stimulée par la demande mondiale pour des instruments financiers éthiques et adossés à l’économie réelle.
La récente réforme législative votée par l’Assemblée nationale vise à combler les vides juridiques et faciliter l’intégration de la finance islamique dans l’écosystème bancaire national. Les Émirats, pionniers en la matière avec la Dubaï Islamic Bank (DIB) et Abu Dhabi Islamic Bank (ADIB), disposant à elles seules de 206,9 milliards de dollars d’actifs en 2022, constituent un allié naturel pour accompagner le Sénégal.
Ousmane Sonko a d’ailleurs reçu, quelques jours avant son départ, le directeur des opérations de la Banque islamique de développement (BID), dont les Émirats sont un actionnaire majeur. Cette séquence témoigne d’une volonté de mobiliser de nouveaux instruments financiers – Sukuk, Murabaha, Mudarabah ou Ijarah – pour financer les infrastructures et la production, au moment où l’État réduit ses crédits budgétaires à l’investissement.
Des infrastructures logistiques au service d’une vision industrielle
Le partenariat stratégique se déploie aussi sur le terrain logistique. Depuis septembre 2024, le groupe émirien DP World a lancé, en partenariat avec le Port autonome de Dakar, les travaux du port en eau profonde de Ndayane. Cette infrastructure s’inscrit dans la vision « Sénégal 2050 », qui vise à transformer le pays en hub industriel et minier pour l’Afrique de l’Ouest.
Le scénario esquissé par le Premier ministre est ambitieux : faire converger au Sénégal les ressources minières de la région – fer de Sierra Leone, bauxite de Guinée – pour les transformer localement à l’aide du gaz sénégalais de Saint-Louis et des technologies de pointe importées de Chine. Les produits finis seraient ensuite exportés via un port moderne et compétitif, conçu selon des standards internationaux.
En choisissant Abu Dhabi, Ousmane Sonko parie sur une redéfinition des alliances économiques du Sénégal. Il ne s’agit pas seulement d’attirer des capitaux étrangers mais de redessiner l’architecture du développement national, en s’affranchissant des schémas hérités des bailleurs occidentaux.
Cette démarche comporte néanmoins des défis : la soutenabilité de la dette, la capacité d’absorption de l’économie nationale et la nécessité de garantir que ces partenariats ne reproduisent pas de nouvelles formes de dépendance. Mais la stratégie témoigne d’une cohérence assumée : diversifier les leviers de financement, consolider des infrastructures structurantes et ancrer le Sénégal dans les circuits émergents de la finance et de l’industrie mondiales.