Entre solidarité proclamée et alignement diplomatique, l’Assemblée tunisienne semble réduire son autonomie pour s’inscrire dans la stratégie régionale d’Alger.
L’activisme affiché de l’Assemblée des représentants du peuple tunisien sur la question palestinienne cache un paradoxe : derrière la rhétorique de solidarité, plusieurs observateurs voient une dépendance croissante vis-à-vis de l’Algérie, au point d’interroger la réalité de la souveraineté parlementaire tunisienne.
Au centre de cette mise en scène, la participation de Mohamed Ali, président de la Commission des droits et libertés, à la « flottille maghrébine et mondiale » en direction de Gaza. Présentée comme une mission humanitaire, cette initiative a été largement relayée dans les médias tunisiens. Le député a souligné qu’un parlementaire « se doit de défendre le droit palestinien par son action législative ». Mais pour nombre d’analystes, cette posture traduit moins une initiative nationale qu’une volonté de se conformer aux orientations algériennes.
Depuis plusieurs mois, les gestes symboliques en faveur de la Palestine se multiplient à Tunis : résolutions parlementaires, déclarations publiques, soutiens aux ONG internationales. Mais, selon des experts consultés à Genève et à Strasbourg, chacun de ces actes semble calibré pour épouser les positions diplomatiques d’Alger, qui a fait de la cause palestinienne un pilier de son influence régionale.
Ce mimétisme n’est pas anodin. L’Algérie, en quête d’un rôle central au Maghreb et au sein de l’Union africaine, trouve dans le Parlement tunisien un relais commode. La Tunisie, qui avait autrefois développé une tradition de politique étrangère indépendante, paraît désormais se contenter d’accompagner la ligne tracée par son puissant voisin de l’Ouest.
Le poids des fragilités tunisiennes
Cette dépendance croissante reflète aussi l’état de fragilité interne du pays. Depuis la concentration des pouvoirs entre les mains de la présidence de Kaïs Saïed et le déclin de la scène partisane, le Parlement tunisien a vu son autonomie réduite. Les grandes orientations diplomatiques échappent largement à l’initiative nationale. Les difficultés économiques chroniques et la dépendance énergétique accentuent encore la marge d’influence d’Alger.
Ainsi, la diplomatie parlementaire tunisienne se réduit à des gestes symboliques, souvent à forte visibilité médiatique – participation à des flottilles, photos relayées sur les réseaux sociaux, communiqués vibrants. Mais derrière cette façade se dessine un déficit d’initiative réelle.
Ce basculement interroge l’avenir de la souveraineté tunisienne. De nombreux Tunisiens, sensibles à la cause palestinienne, voient dans ces initiatives une expression sincère de solidarité. Pourtant, la répétition des gestes dictés par une autre capitale risque de réduire l’Assemblée à un rôle d’exécutant.
À force de suivre sans proposer, la représentation nationale tunisienne s’expose à devenir un instrument au service d’intérêts extérieurs. La « souveraineté parlementaire » demeure dans le discours, mais s’étiole dans la pratique. La Tunisie, jadis pionnière d’une diplomatie autonome au Maghreb, se retrouve dans une position d’alignement qui illustre sa perte d’indépendance stratégique.