L’élargissement du bloc renforce son poids économique, mais la cohésion reste fragile
Seize ans après sa création, le groupe des BRICS s’affirme comme l’un des vecteurs les plus visibles du basculement de l’économie mondiale vers le Sud et l’Est. Loin de l’acronyme forgé par un économiste de Goldman Sachs en 2001, la coalition – élargie aujourd’hui à l’Égypte, l’Éthiopie, l’Indonésie, l’Iran et les Émirats arabes unis – regroupe près de la moitié de la population mondiale et près de 40 % du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat. Dans un contexte de rivalité exacerbée entre Pékin et Washington, les BRICS cherchent à imposer une voie multipolaire, même si leur cohésion demeure relative.
L’analyse d’Otaviano Canuto et Bruno Saraiva montre que deux pays, la Chine et l’Inde, ont largement dépassé les projections établies au début des années 2000. Pékin a supplanté le Japon dès 2010, avec six ans d’avance sur les prévisions, avant de dépasser les États-Unis en 2016 en termes de PIB en PPA. L’Inde, pour sa part, a devancé la France en 2019 et devrait dépasser le Japon en 2025. À l’inverse, le Brésil et la Russie, minés par des crises internes et des sanctions, ont reculé dans le classement.
Au total, les BRICS représentent aujourd’hui 44 % de la croissance mondiale, contre moins de 20 % pour le G6. Cette dynamique confirme leur rôle de moteur de l’économie mondiale, même si l’intégration commerciale et financière entre membres reste faible, chaque pays continuant à entretenir des relations plus profondes avec les économies du G7.
Le rapport souligne la centralité de la Chine dans le dispositif. Son poids économique et technologique déséquilibre le groupe, comme les États-Unis au sein du G7. Mais contrairement à ce dernier, les BRICS ne reposent pas sur une intégration régionale ou institutionnelle dense. Pékin est à la fois la locomotive et l’élément dominant, ce qui alimente des tensions latentes avec les autres membres.
Dans le contexte actuel, la stratégie chinoise apparaît pragmatique : éviter une confrontation frontale avec Washington tout en consolidant son rôle de premier fournisseur de financements et d’infrastructures, notamment par l’Initiative des « Nouvelles routes de la soie ». L’objectif est clair : transformer son influence économique en levier diplomatique pour remodeler les équilibres multilatéraux.
Réformer Bretton Woods et réduire la dépendance au dollar
Depuis sa création, l’agenda financier des BRICS vise à peser dans la réforme des institutions de Bretton Woods. Des avancées ont eu lieu – augmentation des quotes-parts au FMI, création de la Nouvelle banque de développement (NDB) et de l’Arrangement de réserves contingentes (CRA) – mais les défis demeurent.
La question monétaire, hautement sensible, s’est imposée depuis la multiplication des sanctions unilatérales américaines. Si un basculement complet paraît encore lointain, les BRICS cherchent à poser les bases d’une architecture monétaire plus diversifiée et moins vulnérable aux pressions politiques.
Les auteurs insistent sur les limites du bloc : hétérogénéité institutionnelle, « piège des revenus intermédiaires », dépendance persistante au commerce avec les pays développés. Pourtant, le constat est clair : en dépassant les projections initiales et en affirmant leur poids démographique et économique, les BRICS se sont imposés comme des acteurs incontournables de la gouvernance mondiale.
Leur défi consiste désormais à transformer cette puissance économique en influence politique sans se laisser enfermer dans la confrontation sino-américaine. Pékin, en éclaireur d’un monde multipolaire, se trouve au cœur de cette équation. Son choix entre prudence et affirmation déterminera en grande partie la capacité des BRICS à remodeler un ordre international en pleine recomposition.