Vingt ans après sa création, l’organe censé incarner la voix des peuples africains demeure marginalisé, reflet d’une Union africaine traversée par ses contradictions.
Au sein de l’architecture institutionnelle de l’Union africaine (UA), le Parlement panafricain (PAP) devait être l’un des piliers d’une gouvernance renouvelée. Créé en 2004 à Addis-Abeba, il portait une ambition forte : donner aux citoyens africains une représentation supranationale, distincte des appareils étatiques. Mais vingt ans plus tard, l’institution reste confinée à un rôle consultatif, sans pouvoir législatif ni capacité de contrôle, reléguée aux marges de la prise de décision.
L’impasse est flagrante : pensé comme levier démocratique du projet continental, le PAP apparaît aujourd’hui comme un organe symbolique, incapable de peser sur les grands dossiers de l’UA, qu’il s’agisse de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), de la réforme de la gouvernance ou encore des crises sécuritaires.
L’Acte constitutif de l’UA (article 17) assignait au PAP une mission ambitieuse : « assurer la pleine participation des peuples africains au développement et à l’intégration économique du continent ». Mais le texte fondateur, le Protocole de Maputo (2001), avait posé un cadre prudent : les députés panafricains ne disposaient que d’un mandat consultatif, dans l’attente d’une hypothétique décision des chefs d’État leur confiant des pouvoirs législatifs.
Dans les faits, le Parlement fonctionne davantage comme une chambre de socialisation entre élites politiques que comme une véritable arène délibérative. Ses membres, désignés par les parlements nationaux, ne sont pas élus au suffrage direct et manquent d’ancrage populaire. À défaut de légitimité démocratique, le PAP souffre d’un déficit de crédibilité, incapable de s’imposer face aux organes exécutifs de l’UA.
Le Protocole de Malabo, réforme bloquée
Adopté en 2014, le Protocole de Malabo devait marquer un tournant. Il prévoyait l’octroi de compétences législatives dans certains domaines, l’instauration d’un contrôle plus étroit sur les politiques de l’Union, ainsi que l’élection directe des députés panafricains. Dix ans plus tard, le texte reste lettre morte : seuls treize États l’ont ratifié, loin du seuil de vingt-huit requis pour son entrée en vigueur.
Ce blocage illustre la réticence des gouvernements à céder une part, même symbolique, de leur souveraineté. Les capitales africaines redoutent qu’un parlement supranational ne s’érige en contre-pouvoir, susceptible de questionner la légitimité de régimes fragiles ou autoritaires. En refusant de franchir ce pas, l’UA entretient un écart croissant entre ses proclamations normatives — démocratie, participation, bonne gouvernance — et ses mécanismes effectifs.
Rivalités régionales et instrumentalisations
Le Parlement panafricain n’est pas seulement freiné par son manque de pouvoir ; il est aussi traversé par des rivalités géopolitiques. La crise de 2021 en a donné une illustration éclatante : les travaux avaient été suspendus à Midrand, en Afrique du Sud, en raison d’un blocage sur la rotation régionale de la présidence. L’Afrique australe exigeait que son tour soit reconnu, tandis que d’autres régions contestaient le principe.
Cette querelle procédurale a révélé la fragilité d’une institution dépourvue de mécanismes d’arbitrage internes et entièrement dépendante des rapports de force interétatiques. Aujourd’hui encore, la présidence tournante, censée revenir à l’Afrique du Nord en 2026, est perçue moins comme un outil d’équilibre que comme une scène de rivalité symbolique.
Dans la pratique, le PAP sert davantage d’espace de redistribution politique ou de récompense pour des parlementaires nationaux que de chambre de délibération continentale. L’institution est instrumentalisée pour satisfaire des équilibres internes, plus que pour incarner une dynamique panafricaine.
Trois futurs possibles
À l’horizon, trois scénarios se dessinent. Le plus probable est celui d’une consolidation sous contrainte : le PAP continuerait d’exister dans sa forme actuelle, toléré mais marginalisé, produisant des résolutions sans portée réelle. Une autre hypothèse serait l’activation du Protocole de Malabo, mais dans une version édulcorée, qui renforcerait à la marge ses prérogatives sans en bouleverser l’équilibre intergouvernemental. Enfin, le risque d’une désinstitutionalisation silencieuse existe : faute d’intérêt des États, le Parlement pourrait s’étioler, réduit à une coquille vide fonctionnant par automatisme.
Le destin du Parlement panafricain reflète les ambiguïtés de l’intégration continentale. L’UA proclame son attachement à la démocratie et à la participation citoyenne, mais rechigne à en institutionnaliser les fondements. En théorie, le PAP incarne la promesse d’une gouvernance partagée ; en pratique, il illustre l’incapacité des États à dépasser une logique strictement intergouvernementale.
Vingt ans après sa création, l’organe censé donner une voix aux peuples africains apparaît comme un symptôme : celui d’une Union africaine qui hésite encore entre l’affirmation d’un idéal démocratique et le maintien d’un ordre politique dominé par les exécutifs. À l’heure où l’Afrique du Nord s’apprête à briguer la présidence du Parlement, la question reste entière : le PAP deviendra-t-il un véritable levier d’intégration politique, ou restera-t-il une façade démocratique sans pouvoir ?