Le discours du président Abdelmadjid Tebboune à la 4ᵉ Foire commerciale intra-africaine d’Alger avait des accents de rattrapage historique. Il a promis que les ports algériens allaient devenir les « voies express » du continent pour les pays enclavés d’Afrique. « Il est concevable que des marchandises puissent atteindre les ports algériens et être ensuite transportées en seulement vingt-quatre heures par train », a-t-il affirmé, admettant par la même occasion que son pays avait « tourné le dos à l’Afrique » pendant des décennies.
L’aveu est de taille. Il révèle la profondeur du vide laissé par Alger dans le développement régional, un désengagement que l’enthousiasme soudain du chef de l’État ne saurait masquer. Alors que le Maroc multiplie les initiatives concrètes et crédibles depuis plusieurs années, l’Algérie tente désormais de se replacer dans la compétition, mais sans assise réelle ni partenaires solides.
L’initiative marocaine pour donner au Sahel un accès structuré à l’Atlantique a été lancée en novembre 2023. En moins d’un an, elle a fédéré le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad, qui ont officiellement rejoint le projet, avec des comités techniques en activité pour baliser la mise en œuvre. En avril 2025, les chefs de l’Alliance des États du Sahel (AES) ont rencontré le roi Mohammed VI à Rabat pour réaffirmer leur engagement et souligner l’importance de ce corridor maritime comme vecteur de survie économique et de désenclavement.
À l’inverse, l’Algérie n’a pour l’heure présenté qu’une promesse générale, sans calendrier précis, ni mécanisme institutionnel, ni feuille de route technique. L’annonce de Tebboune ressemble davantage à une tentative de rattrapage symbolique qu’à une stratégie.
Le projet marocain : une architecture robuste, des échéances claires
Au cœur du plan du Maroc se trouve le port de Dakhla Atlantique, vaste complexe de 1 650 hectares, dont l’ouverture est prévue pour 2028. Relié à Tanger et Casablanca, il servira de plaque tournante entre l’Afrique de l’Ouest et l’Atlantique, adossé à un corridor routier de 2 200 kilomètres reliant Bamako, Ouagadougou, Niamey et N’Djamena. Ce projet, pensé dans la durée, répond à des besoins immédiats du Sahel en matière de logistique, de commerce et de sécurité énergétique.
Il bénéficie en outre d’un soutien politique affirmé : les dirigeants de l’AES n’ont cessé de rappeler que l’initiative marocaine n’était pas seulement une ouverture vers la mer, mais un tremplin vers une transformation structurelle des économies sahéliennes.
À l’opposé, Alger souffre d’un déficit de confiance. Ses relations tendues avec ses voisins sahéliens ont été exacerbées par les accusations d’ingérence. Le bloc de l’AES a récemment dénoncé des « actions hostiles », allant jusqu’à accuser l’armée algérienne d’avoir abattu un drone malien, ce qui a conduit au rappel de plusieurs ambassadeurs. L’Algérie paie ainsi le prix d’une diplomatie marquée par la suspicion et les interférences, loin de l’esprit de partenariat recherché dans la région.
Dans ces conditions, la promesse de transformer les ports algériens en hubs africains apparaît comme un effet d’annonce, dénué de la légitimité et de la confiance nécessaires pour convaincre des partenaires sceptiques.
Une stratégie réactive plutôt que proactive
L’attitude d’Alger traduit une tendance plus large : une incapacité à initier, remplacée par une logique de réaction. Chaque fois que Rabat franchit une étape structurante, Alger réplique par une annonce de principe, sans moyens opérationnels. Le contraste est frappant : le Maroc passe de la planification à l’exécution, alors que l’Algérie oscille entre discours et mise en scène.
Cette approche réactive ne fait que renforcer l’image d’un pays obsédé par la rivalité avec son voisin plutôt que par des résultats tangibles. Elle entretient une diplomatie tournée vers le public interne, mais peu crédible à l’international.
Tebboune veut incarner un revirement, affirmant que l’Algérie s’ouvre enfin à l’Afrique. Mais il se heurte à une réalité : son pays a délaissé le continent au moment où se tissaient les grandes dynamiques régionales, laissant le champ libre à d’autres puissances, au premier rang desquelles le Maroc, mais aussi la Turquie, la Chine et les pays du Golfe.
Aujourd’hui, les promesses algériennes se heurtent à une défiance structurelle : infrastructures vieillissantes, manque de corridors logistiques fiables, bureaucratie paralysante et diplomatie marquée par les antagonismes. À cela s’ajoute une économie fragilisée par sa dépendance aux hydrocarbures et incapable d’offrir aux partenaires sahéliens des garanties durables.
La tentative algérienne de rivaliser avec l’initiative marocaine pour le Sahel ressemble davantage à un faux pas stratégique qu’à une véritable politique africaine. Elle révèle les limites d’une diplomatie qui mise sur la rhétorique au lieu de bâtir des partenariats de confiance. Alors que Rabat structure patiemment un projet crédible, Alger se contente de discours spectaculaires mais creux.
Le Sahel, confronté à une crise existentielle, a besoin de solutions concrètes, pas de slogans. Pour l’instant, le Maroc incarne l’action et l’Algérie l’illusion.