Les nouvelles guerres tarifaires engagées par la seconde administration Trump ne se limitent pas à rompre avec sept décennies d’intégration économique mondiale. Elles accélèrent un processus de fragmentation qui n’est pas sans rappeler les dérives des années 1930 : montée des nationalismes, crispations xénophobes et effritement des régimes de coopération multilatérale. Pour l’Afrique, ce retour au protectionnisme punitif signifie des coûts directs sur ses exportations, des distorsions dans les chaînes d’approvisionnement et un recul des flux d’investissement indispensables à son industrialisation.
En 1930, les États-Unis avaient adopté la loi tarifaire Smoot-Hawley, censée protéger les producteurs américains après le krach de 1929. Malgré l’opposition de plus de 1 000 économistes, les tarifs furent relevés à un niveau record. L’effet fut désastreux : chute de plus de moitié des exportations et importations, représailles des partenaires commerciaux, aggravation de la Grande Dépression, et, en Europe, un climat propice à la montée des régimes autoritaires. L’économie américaine ne se redressa qu’avec l’effort de guerre.
Le parallèle avec la stratégie tarifaire actuelle est inquiétant : ce qui se gagne à court terme politiquement se perd, à long terme, en stabilité et en prospérité.
Les trois vagues tarifaires de Trump
La première administration Trump avait imposé des droits punitifs visant principalement la Chine, le Canada et le Mexique, avec un coût estimé à plus de 1 300 milliards de dollars. Les « tarifs réciproques » de la seconde vague, unilatéraux et coercitifs, ont suscité une cascade de représailles, fragilisant encore davantage le régime commercial multilatéral. La troisième vague, en cours, voit plusieurs économies contraintes de signer des accords bilatéraux déséquilibrés pour éviter de nouvelles sanctions
Pression sur les termes de l’AfCFTA (Zone de libre-échange continentale africaine), qui risque de voir ses ambitions freinées par un environnement international fragmenté.
De 1950 à 2008, la mondialisation avait favorisé le commerce, l’investissement et le transfert technologique, soutenant l’essor des « dragons » asiatiques et, plus récemment, des économies africaines les plus dynamiques. La démondialisation actuelle inverse cette tendance. Selon le FMI, la fragmentation géoéconomique est désormais un choix politique délibéré, alimenté par les tensions commerciales et stratégiques entre grandes puissances.
Pour l’Afrique subsaharienne, la combinaison du ralentissement mondial, du recul de la demande extérieure et de la volatilité financière se traduit par :un risque accru de désindustrialisation prématurée ; une dépendance renforcée vis-à-vis de partenaires bilatéraux prêts à imposer leurs conditions ; un affaiblissement du pouvoir de négociation sur les marchés de matières premières, alors que la transition énergétique mondiale accroît la demande en cobalt, lithium, manganèse et terres rares.
La guerre tarifaire américaine n’est pas seulement une question de flux commerciaux : elle redessine les rapports de force économiques. En marginalisant les cadres multilatéraux, elle pousse les États africains à arbitrer entre blocs concurrents, au risque de fragmenter leurs propres stratégies régionales. À terme, la fragmentation mondiale pourrait coûter à l’Afrique bien plus que la baisse conjoncturelle des exportations : elle menace la trajectoire même de son développement, en ralentissant la montée en gamme industrielle et en affaiblissant la résilience économique face aux chocs extérieurs.