Depuis sa création en 2002 par Muhammad Yusuf, Boko Haram a imposé son emprise par la terreur au Nigeria et dans les régions voisines. Ce mouvement islamiste radical, qui rejette la civilisation occidentale et la démocratie, s’est rapidement illustré par des actes d’une violence inouïe, causant la mort de plus de 350 000 personnes et déstabilisant une vaste partie de l’Afrique de l’Ouest. Toutefois, derrière son discours religieux, Boko Haram présente une idéologie marquée par des contradictions profondes et une instrumentalisation des textes islamiques à des fins terroristes.
L’idéologie de Boko Haram plonge ses racines dans un salafisme extrême, teinté d’influences wahhabites et radicalisé par ses fondateurs. Muhammad Yusuf, autodidacte formé dans le système informel des madrasas Al-majiri, a bâti son discours sur une opposition frontale à l’éducation moderne, qu’il considérait comme antithétique à l’islam. Son successeur, Abubakar Shekau, a porté cette rhétorique à son paroxysme, appelant à l’extermination des « ennemis de l’islam », y compris des musulmans refusant d’adhérer à son interprétation radicale.
Loin de la tradition islamique, qui préconise la prédication pacifique et la tolérance, Boko Haram instrumentalise le concept de djihad pour justifier des massacres indiscriminés. Le Coran lui-même prône la non-agression et la liberté de croyance (Sourate 2:256 : « Nulle contrainte en religion »). Pourtant, Boko Haram déforme ces enseignements pour légitimer des attentats-suicides, des enlèvements massifs et la destruction d’institutions scolaires et religieuses.
Un contexte sociopolitique propice à la radicalisation
Le Nigeria, pays aux multiples facettes ethniques et religieuses, constitue un terreau fertile pour l’expansion de mouvements extrémistes. Fort de plus de 250 groupes ethniques et trois grandes religions (islam, christianisme et religions traditionnelles africaines), le pays a vu naître des tensions identitaires récurrentes. L’héritage du califat de Sokoto et la cohabitation de diverses branches de l’islam, du soufisme à l’islam chiite en passant par les courants Izala, ont donné lieu à des luttes d’influence qui ont souvent été récupérées à des fins politiques.
Dans ce contexte, Boko Haram s’est imposé comme un acteur central du radicalisme, tirant profit de la pauvreté, de l’absence d’éducation et du sentiment d’exclusion ressenti par de nombreux jeunes du nord du pays. En dénonçant la corruption du gouvernement nigérian et en promettant une application stricte de la charia, le groupe a su capter l’attention de populations en déshérence, avant de les soumettre à sa politique de la terreur.
Une idéologie en mutation : du radicalisme doctrinal à la barbarie pure
Sous Shekau, Boko Haram a connu une radicalisation accrue, marquée par une brutalité sans limite. L’enlèvement des lycéennes de Chibok en 2014 et l’utilisation d’enfants pour des attentats-suicides en sont des illustrations criantes. Shekau a poussé plus loin l’interprétation dévoyée du djihad en autorisant les meurtres massifs et la vente des femmes captives comme esclaves, se basant sur des lectures biaisées de textes religieux.
Après la mort de Shekau en 2021 lors d’affrontements avec l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), le groupe a connu une fragmentation. La montée en puissance d’ISWAP, plus stratégique et moins aveugle dans sa gestion de la violence, a contraint Boko Haram à repenser son mode opératoire. Aujourd’hui dirigé par Abu Umaimata, le groupe continue de sévir, mais avec une perte d’influence progressive face à des factions djihadistes concurrentes.
Un rejet grandissant de la population et des oulémas
Si Boko Haram a longtemps prospé sur la peur et l’absence de réponse efficace des autorités, sa légitimité s’effrite face à la réprobation grandissante des chefs religieux musulmans et des populations locales. De nombreux oulémas nigérians et internationaux dénoncent l’idéologie du groupe comme une « hérésie kharijite », c’est-à-dire une déviation extrême et violente de l’islam.
L’utilisation par Boko Haram de certains versets du Coran pour justifier ses exactions est régulièrement démentie par des spécialistes de la théologie islamique. Les règles du djihad dans l’islam interdisent formellement le meurtre de civils, la destruction des infrastructures et la coercition dans la conversion religieuse. Par conséquent, le discours de Boko Haram, prétendant instaurer un État islamique, est largement perçu comme une perversion des préceptes islamiques plutôt qu’une application rigoureuse de la charia.
Vers une réponse efficace ?
Malgré les opérations militaires menées par l’armée nigériane et les forces régionales, Boko Haram demeure une menace persistante. Lutter contre le groupe nécessite une approche globale, alliant actions militaires, déracinement de l’idéologie extrémiste et amélioration des conditions de vie dans les régions touchées. La réhabilitation des anciens combattants et l’éducation des jeunes apparaissent comme des éléments clés pour freiner l’expansion de ce fléau.
L’avenir de Boko Haram semble incertain. Alors que ses exactions continuent de susciter une indignation mondiale, le mouvement se retrouve fragilisé par ses divisions internes et par l’opposition croissante des sociétés civiles et des leaders religieux. Reste à savoir si la lutte contre l’extrémisme violent saura s’imposer sur le long terme, en coupant à la source les facteurs qui nourrissent encore ce fléau.