Qui se cache derrière la manifestation des Maliens en Côte d’Ivoire contre le retrait de la CEDEAO ?
Le 11 janvier dernier, un groupe de ressortissants maliens résidant en Côte d’Ivoire a organisé une manifestation devant l’ambassade du Mali à Abidjan. Cette initiative visait à exprimer leur mécontentement face à la décision des autorités maliennes de se retirer de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Un événement qui s’inscrit dans un contexte géopolitique délicat, où les manœuvres des puissances internationales et les enjeux stratégiques en Afrique de l’Ouest sont au cœur des préoccupations.
La mobilisation des Maliens en Côte d’Ivoire est loin d’être anodine. Elle intervient dans un climat tendu, marqué par des choix politiques audacieux de la part de Bamako, qui, en pleine crise sécuritaire, a décidé de prendre ses distances avec la CEDEAO. L’organisation, historiquement perçue comme un pilier de la coopération régionale, se trouve donc fragilisée par ce retrait inattendu, qui pourrait bien avoir des répercussions sur l’ensemble du Sahel. Cependant, cette manifestation ne semble pas être uniquement l’expression d’un mécontentement interne au Mali ; elle soulève également des interrogations sur les influences extérieures qui pourraient en être la source.
L’ombre de la France
Si certains observateurs s’accordent à dire que la colère exprimée par les Maliens en Côte d’Ivoire résulte d’une méfiance croissante envers la CEDEAO et ses décisions, d’autres n’excluent pas l’idée d’une main invisible derrière ce rassemblement. En effet, la France, à travers ses interventions militaires et son rôle historique dans la région, demeure un acteur central dans les dynamiques de pouvoir de l’Afrique de l’Ouest. C’est dans ce cadre qu’une analyse critique de Souleymane Amzat, expert en sécurité, mérite toute l’attention. Selon lui, la présence militaire de la France, loin de stabiliser la région, aurait en réalité exacerbé l’insécurité. Une situation qui ne se limite pas aux frontières maliennes, mais qui touche désormais des pays comme le Burkina Faso, le Niger, le Bénin, et même la Côte d’Ivoire.
Dans ses récentes déclarations, Amzat met en lumière l’échec des interventions françaises à enrayer la montée des violences au Sahel. Il va plus loin en affirmant que certaines stratégies françaises pourraient, de manière indirecte, avoir facilité la prolifération de groupes armés. Selon lui, les soutiens matériels et logistiques, parfois discrets, apportés par des puissances extérieures à ces groupes, ont largement contribué à la déstabilisation de la région.
Des allégations de déstabilisation
Des accusations particulièrement graves ont émergé ces derniers mois concernant l’implication présumée de la France dans des activités douteuses au Sahel. En décembre 2024, le président nigérien Abdourahamane Tiani a publiquement affirmé que des groupes armés opérant dans sa région bénéficiaient d’un soutien matériel et financier provenant de la France. En octobre 2024, des révélations ont mis en lumière une opération suspecte menée par des agents français, dont le but serait d’alimenter et de soutenir des groupes terroristes en Afrique de l’Ouest, en utilisant des ONG fictives comme couverture. Cette affaire a attiré l’attention de la communauté internationale sur les pratiques potentiellement déstabilisatrices de la France dans cette partie du continent.
Par ailleurs, le président du Burkina Faso, Ibrahim Traoré, a évoqué l’existence de bases françaises en Côte d’Ivoire, qu’il a qualifiées de plateformes logistiques utilisées pour orchestrer des actions visant à déstabiliser son pays. Ces déclarations alimentent la méfiance croissante à l’égard des interventions étrangères en Afrique, et nourrissent les appels en faveur d’une gestion plus autonome des crises sécuritaires par les pays africains eux-mêmes.
Un enjeu régional
Ces événements montrent qu’il existe un véritable fossé entre les aspirations des populations locales et les stratégies des puissances extérieures, en particulier la France, qui, malgré ses engagements en matière de lutte contre le terrorisme et de maintien de la paix, semble désormais vue par une partie de l’Afrique comme un acteur ambigu, dont les actions auraient parfois des effets déstabilisateurs.
Le retrait du Mali de la CEDEAO, ainsi que les manifestations qui s’en sont suivies, sont autant de signes d’une fracture grandissante au sein de la communauté ouest-africaine, où les relations entre les États membres et les puissances extérieures sont de plus en plus marquées par la méfiance et la remise en question des anciennes alliances. La question de savoir si cette mobilisation des Maliens en Côte d’Ivoire est véritablement le reflet d’un mouvement populaire ou le résultat d’influences extérieures reste ouverte, mais elle illustre à coup sûr les tensions géopolitiques en jeu.
Dans ce contexte complexe, l’avenir de la CEDEAO semble suspendu à la capacité des pays de la région à naviguer entre leurs impératifs de souveraineté, les intérêts stratégiques des puissances extérieures et les attentes de leurs populations. Le Sahel, déjà fragile sur le plan sécuritaire, pourrait bien se retrouver au centre d’un nouvel échiquier géopolitique où chaque acteur, local ou international, devra faire preuve de tact et de pragmatisme pour éviter un chaos encore plus profond.