Les relations entre la France et le continent africain traversent une période de turbulence inédite. En ligne de mire, les tensions croissantes avec les pays du Sahel, du Sénégal et du Tchad, exacerbées par des déclarations jugées condescendantes des dirigeants français, notamment Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron. Ces attitudes, dénoncées par plusieurs chefs d’État africains, soulèvent des interrogations sur l’avenir de la présence française en Afrique et marquent un tournant dans les relations entre Paris et ses anciens partenaires.
Le 6 janvier dernier, Emmanuel Macron s’est adressé à ses ambassadeurs dans un discours qui n’a pas tardé à susciter des remous. Le président français y a rappelé les interventions militaires de la France au Sahel depuis 2013, affirmant que ces actions méritaient reconnaissance de la part des partenaires africains. Mais cette rhétorique a été perçue comme paternaliste et malvenue, surtout dans un contexte où les opinions publiques africaines, tout comme leurs dirigeants, expriment de plus en plus ouvertement leur mécontentement à l’égard de la politique française sur le continent.
Au Tchad, par exemple, le président Mahamat Idriss Déby et le ministre des Affaires étrangères Abderaman Koulamallah n’ont pas tardé à réagir. Dans des déclarations officielles, ils ont dénoncé « l’attitude méprisante » de Macron, soulignant que l’époque où les anciennes colonies devaient rendre des comptes à la métropole est révolue. Ces critiques ne sont pas isolées : elles traduisent une lassitude généralisée face à ce que beaucoup considèrent comme une incapacité française à adapter sa diplomatie à l’évolution politique, économique et culturelle de l’Afrique contemporaine.
L’héritage d’une condescendance persistante
Ces tensions trouvent leurs racines dans une longue tradition de discours perçus comme condescendants. Nicolas Sarkozy avait déjà marqué les esprits en 2007 avec son célèbre discours de Dakar, où il déclarait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ». Ces propos, jugés profondément insultants, avaient provoqué une onde de choc sur le continent, installant un climat de défiance envers la France.
Sous la présidence d’Emmanuel Macron, les tentatives de rupture avec cet héritage colonial n’ont pas convaincu. Bien que le chef de l’État ait multiplié les gestes symboliques, comme le rapatriement d’œuvres d’art pillées ou la reconnaissance des crimes coloniaux, ses discours sur l’Afrique continuent d’alimenter la controverse. La rhétorique de la gratitude, évoquée lors de son allocution aux ambassadeurs, illustre l’écart persistant entre les attentes des pays africains et la perception française des relations bilatérales.
Le Sahel, terrain de rupture
Le cas des pays du Sahel est particulièrement emblématique de cette fracture. Depuis l’intervention militaire française en 2013 pour contrer l’avancée djihadiste, les critiques envers Paris n’ont cessé de croître. L’opération Barkhane, présentée initialement comme une mission de stabilisation, a fini par être perçue comme une ingérence. Le sentiment anti-français s’est amplifié, alimenté par des manifestations populaires dénonçant la présence militaire française, perçue comme inefficace et colonialiste.
En 2022, le Mali, sous la houlette de son gouvernement de transition, a acté un tournant en rompant avec la France et en faisant appel à des partenaires comme la Russie et le groupe paramilitaire Wagner. Cette décision, suivie par le Burkina Faso et le Niger, marque une rupture symbolique et stratégique dans les relations franco-africaines.
Un nouveau paradigme au Sénégal et au Tchad
Au-delà du Sahel, des partenaires traditionnels comme le Sénégal et le Tchad adoptent désormais un ton plus ferme face à Paris. Ousmane Sonko, lepremier ministre sénégalais, n’hésite plus à critiquer les positions françaises lorsqu’elles semblent en décalage avec les intérêts de son pays. Au Tchad, malgré une longue histoire de coopération militaire, les critiques ouvertes des autorités tchadiennes à l’égard de Macron témoignent d’un changement de paradigme.
Ces pays, autrefois considérés comme des alliés indéfectibles de la France, revendiquent désormais une plus grande autonomie et diversifient leurs partenariats. La montée en puissance de la Chine, de la Russie et de la Turquie en Afrique offre à ces États des alternatives économiques et stratégiques, réduisant l’influence de Paris sur le continent.
Le poids des opinions publiques
Les dirigeants africains ne sont pas les seuls à remettre en question la relation avec la France. Les populations, en particulier les jeunes générations, expriment un rejet de plus en plus fort de ce qu’elles perçoivent comme une domination néocoloniale. Ces mouvements, largement amplifiés par les réseaux sociaux, dénoncent le rôle de la France dans le maintien d’élites politiques déconnectées des réalités populaires, ainsi que son influence économique à travers des mécanismes comme le franc CFA.
Face à ce contexte, la France se retrouve à la croisée des chemins. Emmanuel Macron a affirmé sa volonté de réinventer les relations entre la France et l’Afrique, mais les tensions actuelles montrent que cette ambition reste difficile à concrétiser. Si Paris veut regagner la confiance de ses partenaires africains, il lui faudra non seulement abandonner tout discours condescendant, mais aussi répondre concrètement aux attentes des États africains en matière de respect mutuel, de coopération équitable et de souveraineté.
La rupture entre la France et l’Afrique, symbolisée par les différends récents, illustre un rapport de force en pleine évolution. Ce bouleversement pourrait bien marquer la fin d’une époque et ouvrir la voie à une redéfinition profonde de la place de la France sur le continent.