Au cœur de Bamako, sous une atmosphère lourde de tensions politiques, le président de la transition malienne, le général Assimi Goïta, s’est adressé à la Nation dans un discours qui marquera l’histoire des relations entre son pays et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Avec des mots pesés mais percutants, il a établi une analogie saisissante : « La CEDEAO et les terroristes sont les mêmes. » Une déclaration aussi provocante que révélatrice des fractures profondes qui divisent désormais l’organisation ouest-africaine.
Le chef d’État malien n’a pas hésité à détailler les raisons de cette comparaison. « Lorsque les groupes armés encerclent un territoire, ils interdisent les entrées et les sorties, ainsi que les livraisons de nourriture et de médicaments », a-t-il expliqué, le ton grave. Ce modus operandi, selon lui, est identique à celui utilisé par la CEDEAO à l’encontre du Mali, puis du Niger, après les sanctions imposées suite aux coups d’État dans ces deux pays.
« Pendant six mois, le Mali a été soumis à des restrictions étouffantes, privant la population de denrées essentielles et de médicaments, » a rappelé Goïta, évoquant les embargos économiques et commerciaux imposés par l’organisation sous-régionale. Si la CEDEAO utilise des mécanismes institutionnels et diplomatiques pour exercer son influence, « la seule différence réside dans la possession d’armes. Pour le reste, c’est la même chose », a conclu le général, accusant l’organisation d’avoir abandonné ses principes fondateurs d’intégration et de solidarité
Cette sortie médiatique intervient dans un contexte marqué par une rupture sans précédent au sein de la CEDEAO. Depuis les renversements successifs des régimes civils au Mali (2020), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023), l’organisation ouest-africaine a durci sa posture face aux régimes militaires qui ont pris le pouvoir. Les sanctions, souvent perçues comme punitives par les populations locales, visaient à restaurer l’ordre constitutionnel. Pourtant, ces mesures ont exacerbé les tensions, alimenté un sentiment de rejet envers la CEDEAO et renforcé l’unité des régimes putschistes, qui ont fini par former une nouvelle alliance régionale : l’Alliance des États du Sahel (AES).
L’AES, composée du Mali, du Burkina Faso et du Niger, se présente comme une alternative souverainiste à la CEDEAO. Les trois pays, confrontés à des défis sécuritaires liés au terrorisme et à une pression internationale croissante, affirment vouloir rompre avec ce qu’ils qualifient de néocolonialisme régional. « Nous défendons notre dignité et notre indépendance face aux ingérences extérieures », a déclaré Goïta, insistant sur la nécessité pour les pays sahéliens de bâtir leur propre modèle de gouvernance et de sécurité.
Un climat de défiance généralisée
Les propos du président malien traduisent un sentiment de défiance généralisée envers la CEDEAO, accusée de servir les intérêts de certaines puissances étrangères plutôt que ceux des populations africaines. Cette perception est alimentée par les critiques concernant l’efficacité de l’organisation dans la lutte contre le terrorisme et sa gestion des crises politiques. « La CEDEAO n’a pas empêché les massacres dans nos villages. Elle n’a rien fait face aux avancées des groupes terroristes. Mais elle se montre implacable lorsqu’il s’agit de sanctionner nos gouvernements, » a martelé un proche collaborateur de Goïta.
Face à l’isolement imposé par la CEDEAO et soutenu par une partie de la communauté internationale, les États membres de l’AES ont décidé de s’unir pour tracer leur propre voie. En septembre 2023, l’Alliance a vu le jour, affichant des objectifs ambitieux : renforcer la coopération militaire et sécuritaire, mutualiser les ressources économiques et affirmer une autonomie politique face aux organisations perçues comme inféodées à des intérêts étrangers.
Cependant, cette initiative a également exacerbé les divisions au sein de l’Afrique de l’Ouest, affaiblissant une CEDEAO déjà confrontée à des critiques internes. Plusieurs observateurs craignent que cette fracture n’accentue l’instabilité régionale, compromettant les efforts de lutte contre les groupes armés qui prolifèrent dans le Sahel.
Un avenir incertain pour la région
La déclaration d’Assimi Goïta illustre la profondeur des tensions entre les deux blocs. Si la CEDEAO continue d’insister sur le retour à l’ordre constitutionnel dans les États sahéliens, l’AES, elle, revendique un changement de paradigme et le droit des peuples à choisir leur propre destin. Cette opposition idéologique pourrait redéfinir les équilibres géopolitiques en Afrique de l’Ouest, avec des conséquences incalculables pour la stabilité de la région.
En attendant, les populations maliennes, burkinabè et nigériennes restent les premières victimes de cette lutte d’influence. Leurs espoirs se tournent vers une résolution rapide de ces différends, qui permettra enfin de répondre aux véritables urgences : la sécurité, le développement économique et l’amélioration des conditions de vie. Mais pour l’heure, le fossé entre la CEDEAO et l’AES semble s’élargir inexorablement, emportant avec lui le rêve d’une unité africaine solide et solidaire.