Face à un monde protéiforme, plusieurs acteurs se disputent une guerre d’influence, en effet, à la différence de la guerre conventionnelle, la guerre de l’information n’a ni début ni fin, et brouille les distinctions traditionnelles entre l’état de guerre et l’état de paix, entre ce qui est officiel et ce qui est secret, entre opérations étatiques et opérations non étatiques, en raison du recours massif et quasi-systématique à des sous-traitants, des mercenaires. Nous assistons aujourd’hui à une forme de guerre hybride où des challengers irréguliers cherchent à exploiter des avantages tactiques au moment et à l’endroit de leur choix, tout en accumulant une série d’effets tactiques, et à les amplifier via des médias et de la guerre de l’information.
Le Hamas « axe de la résistance » est antinomique au projet d’une société politique plurielle et ouverte. Quant à Israël, il est constitué d’un bloc de droite radicale au pouvoir. Au tournant des années 1950, au lendemain de la Shoah, nombre de penseurs juifs avaient salué cet Etat comme seul garant de la survie du judaïsme, mais s’étaient également inquiétés de voir les Juifs devenir une « nation », autrement dit une entité potentiellement exclusiviste, nationaliste et répressive. Ils soulignaient l’urgence de trouver une solution politique à la question palestinienne.
La Palestine est victime après 1948, d’une politique de colonisation massive et privée de voix sur le plan international, la Palestine est une société vaincue. Après l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin en novembre 1995, Israël s’est replié sur une logique sécuritaire et répressive, et il n’a jamais renoncé ni à son projet de fragmenter territorialement la Cisjordanie par l’implantation de ses colonies, ni à ses ambitions de briser l’unité nationale palestinienne en apportant un soutien, implicite ou explicite, au Hamas, qui refusait pourtant de reconnaitre son existence.
Israël est sujet à des contradictions fondatrices, que la stratégie de guerre ne peut occulter. Fondé en 1948 comme entité socialiste et soutenu à ses débuts par l’URSS autant que par les Etats-Unis, l’Israël de la génération David Ben Gourion (1886-1973) et de Golda Meir (1898-1978) avait pour ambition contradictoire d’être à la fois une démocratie et une ethnocratie, une société séculaire trouvant sa légitimité dans une appartenance religieuse. Cependant, ce pari politique et identitaire n’est possible que par la reconnaissance de la légitimité de la Palestine comme communauté nationale et entité politique.
L’assaut du Hamas le 7 octobre 2023 a frappé la société israélienne en plein cœur et généré un choc inouï. Les brigades Ezzedine al-Qassam ont réussi à pénétrer l’hinterland de l’Etat hébreu pour la 1ère fois. Tuant environ 1140 personnes et en prenant 252 autres en otages. Cette guerre affectera durablement la trajectoire future d’Israël.
Les dynamiques en cours à Gaza, au Liban et en mer Rouge ont démontré l’efficacité des systèmes intégrés de défense aérienne et antimissile d’Israël, et souligné les performances des technologies de défense : le « Dôme de fer » aurait ainsi intercepté plus de 11.000 roquettes et missiles (sur un total de 13.000) et la cyberdéfense israélienne a prouvé son efficacité contre les hackers iraniens. Des performances confirmées par l’interception de 99% des missiles et drones lancés en direction d’Israël le 13 avril 2024.
Cependant, les houthistes ont l’ambition de se positionner comme puissance régionale incontournable et comme membre à part entière de l’« axe de la résistance », ce réseau d’acteurs non étatiques, armés soutenus par l’Iran et qui inclut le Hezbollah libanais, le Hamas et d’autres groupes palestiniens, ainsi que des milices en Irak et en Syrie. Dans l’éventualité d’une escalade vers une guerre totale entre Israël et l’Iran, ils signalent que l’Etat hébreu devra faire face à un front additionnel au sud, en plus des fronts palestiniens, libanais, syrien, irakien et iranien. Ainsi, Israël sera encerclée et son système de défenses antimissiles sera saturé, accentuant la force dissuasive de l’« axe de la résistance ».
Le Mossad : atout de l’Etat hébreu
Robert Mallet « Le pouvoir qu’on vous prête vous en donne »
Depuis sa création en 1948, l’Etat hébreu s’est engagé dans 4 conflits contre ses voisins arabes. Remportés, en partie, grâce à la force de son renseignement. Derrière l’acronyme du MOSSAD se cache l’« Institut pour les renseignements et affaires spéciales » de l’Etat hébreu. Un organisme qui a forgé sa légende dans la communauté des services secrets à coups de succès étonnants malgré quelques échecs retentissants.
Le Mossad que nous connaissons a été fondé en décembre 1949 par Reuven Shiloah, ancien dirigeant du Shay et conseiller du premier ministre Ben Gourion, et placé sous l’autorité du ministère des Affaires étrangères. Shiloah voulait une structure capable de coordonner celles existantes et d’améliorer la collecte du renseignement. Il en devint le premier directeur. En 1951, Ben Gourion et Shiloah décidèrent de rattacher l’agence au bureau du Premier ministre, avant qu’elle ne soit baptisée Mossad en 1963.
Après l’assassinat de 11 athlètes israéliens aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, le Mossad lance l’opération « Colère de Dieu » et pourchasse les Palestiniens auteurs du massacre. Une traque qui durera près de 20 ans et marquera les esprits. Sous l’autorité de Ali Hassan Salameh (1940-1979) figure montante de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), l’assassinat de ces athlètes prend par surprise les dirigeants israéliens, tandis que leur opinion publique appelle à la vengeance. La 1ère ministre israélienne Golda Meir (de 1969 à 1974), convoque ses principaux conseillers en matière de sécurité, qui proposent que l’on mette sur pied une série d’assassinats ciblés contre les membres clés de l’organisation terroriste palestinienne Septembre noir, fondée en 1970. Elle donne le feu vert à l’opération « Colère de Dieu ».
Par ailleurs, le Mossad, est composé de 6000 personnes, ce service a su se constituer au fil du temps des caisses noires destinées à financer les opérations les plus secrètes. Le Mossad se place au premier rang des services de renseignement, notamment grâce à son savoir-faire en termes de renseignement humain. Par ailleurs, une des plus grandes réussites du Mossad est de parvenir à recruter non seulement des informateurs de qualité dans le monde arabe, mais aussi des agents qui parlent couramment arabe et peuvent même passer pour des Arabes. Dans certaines occasions, le Mossad a même réussi à établir des liens occultes avec des services dits « ennemis » en échange de discrets services.
Le Mossad est consubstantiel à l’Etat hébreu, tout comme les autres organes sécuritaires et militaires d’un Etat né dans un contexte apocalyptique. Cependant, l’attaque surprise du Hamas contre Israël le 7 octobre dernier a surpris le renseignement israélien, la triade Shin Bet (renseignement intérieur), Aman (renseignement militaire) et Mossad (renseignement extérieur). Les deux premiers étaient directement responsables de la surveillance du Hamas et sont aujourd’hui sous le feu des critiques en Israël.
Guerre de l’information
Pierre Conesa « La mondialisation de la communication, a ouvert la voie à la mondialisation de la manipulation »
La guerre du Golfe a ainsi mis en évidence la nécessité pour les Etats de s’adapter à la nouvelle donne de l’information globale. Le contrôle des médias et de la production de l’information devient un enjeu primordial, et la télédiffusion du conflit par satellite préfigure l’émergence d’un « complexe militaro-informationnel » américain. L’information mondiale est désormais un théâtre de guerre. En 1991, la guerre froide est terminée, mais une nouvelle guerre mondiale a commencé : celle de l’information.
La guerre de l’information requiert de se doter de capacités d’espionnage et de surveillance électroniques, mais aussi de sécurisation des systèmes d’information et de piratage de ceux de l’adversaire. Le théâtre de ce nouveau type de conflit est la sphère informationnelle, ou infosphère, et ses outils incluent aussi bien les médias traditionnels que les nouvelles technologies de l’information et de la communication, comme internet et les téléphones mobiles. L’infosphère devient un nouvel espace de conflictualité, qui s’ajoute aux terrains physiques (terre, mer, air, espace) et électromagnétiques. La gestion de l’environnement informationnel est désormais un élément à part entière tant du champ de bataille lui-même que de la conflictualité entre les Etats : la guerre de l’information est une guerre des perceptions aussi bien que du sens et de l’influence.
Par ailleurs, la stratégie américaine en matière de communication repose sur le concept militaire de « domination informationnelle » (Information Dominance), que l’armée américaine définit comme « le degré de supériorité de l’information permettant d’utiliser les systèmes et les capacités de l’information pour obtenir un avantage opérationnel dans un conflit ou pour contrôler la situation dans des opérations hors guerre, tout en refusant ces capacités à l’adversaire ».
Cette domination a 3 sources : un commandement en maitrise de l’information sur l’espace de combat, des renseignements en temps réel, ainsi qu’une « guerre de l’information » qui vise à perturber les systèmes de communication adverses tout en protégeant les siens.
En juin 2013, Edward Snowden, ancien employé de la CIA et de la NSA, dévoile à un journaliste du Guardian l’existence d’un vaste système de collecte de données, qui s’appuie notamment sur le programme de cyber-espionnage Prism, un partenariat entre la NSA et le GCHQ, et qui permet d’intercepter massivement les données circulant à travers les câbles sous-marins dont une grande partie part des Etats-Unis. Depuis les années 2010, la domination informationnelle américaine est confortée par la contribution indirecte des géants américains du numérique, à commencer par Facebook et Microsoft, à la collecte massive d’informations par les services de renseignement. En multipliant les services gratuits et en monétisant les données de leurs utilisateurs, Google, Facebook et Twitter ont obtenu en moins d’une décennie un rayonnement mondial et sont désormais, pour des milliards d’utilisateurs, des moyens d’information incontournables.
En 2011, Joseph Nye invente la notion de smart power pour désigner la combinaison par les Etats-Unis de tous les instruments de pouvoir à leur disposition pour atteindre leurs objectifs de politique étrangère et projeter leur influence, qu’il s’agisse de la force militaire, des relations économiques et culturelles, du soft power ou du recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Depuis les années 1990, en effet, la dimension informationnelle est pleinement intégrée aux opérations militaires. Le choc des images de soldats américains morts à Mogadiscio en octobre 1993, diffusées dans le monde entier, a conduit le Pentagone à accélérer ses efforts en vue de s’adapter à la nouvelle donne de l’information globalisée.
Quant à la Chine, elle a vu a vu dans le pouvoir déstabilisateur des médias globalisés une menace directe et existentielle. Comme l’Iran, l’empire du Milieu a conçu ses infrastructures de communication numérique selon un modèle étroitement centralisé. En 1996, Internet est ouvert aux citoyens, et la Chine compte 4 millions d’internautes en 1999. Toutefois, seuls 3 points d’échanges (Pékin, Shanghai, Guangzhou) étroitement contrôlés permettent aux flux numériques d’entrer et de sortir du pays. En 1998, le ministère de la Sécurité publique lance le projet « Bouclier doré » qui a pour but de contrôler l’accès des internautes chinois aux contenus étrangers. Surnommé « Grande muraille pare-feu », ce projet consiste à filtrer ou bloquer les contenus en provenance de l’étranger par le transfert du trafic entrant vers des sites étrangers qui se trouvent à leurs tours bloqués, ce qui dote ainsi la Chine à la fois d’un « grand bouclier numérique » et d’un « grand canon ».
Dans le secteur numérique, la Chine est parvenue à échapper à l’hégémonie des géants américains, les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), qui ne s’y sont pas implantés, soit parce qu’ils y sont interdits, comme Facebook et Twitter depuis 2009, soit parce qu’ils s’en sont retirés en raison de leur refus de se soumettre à la censure exigée par Pékin, comme Google en 2010, soit enfin parce qu’ils sont concurrencés par des équivalents chinois. La Chine dispose de ses propres géants : les BATHX (Baidu, Alibaba, Tencent, Huawei et Xiaomi). Baidu, fondé en 2000, apparaît dès sa cotation à Wall Street en 2005 comme un rival de Google, et son moteur de recherche est, pour l’immense majorité des Chinois, la principale porte d’entrée du Web.
On note aussi avec l’avènement du web, l’essor du médiactivisme, c’est-à-dire un militantisme qui se dote de son propre média, en créant des sources d’information alternatives. Exemple, en 2006 apparaît en ligne Anonymous, une organisation de militants numériques qui prônent la liberté d’expression et qui recourent au hacking, c’est-à-dire l’exploitation des failles d’un système informatique, aussi bien qu’au hacktivisme, cette forme de piratage informatique qui vise à favoriser des changements sociétaux, en s’en prenant notamment à des Etats.